jeudi 29 mars 2012

Cospán nous voilà !


                 Chacun d'entre nous possède, quelque part au fond de soi, un besoin d'évasion et de découverte, une envie d'ailleurs, une soif de sensations nouvelles, bref une âme d'aventurier quoi. Selon les cas, elle peut être plus ou moins enfouie et plus ou moins exacerbée (la mienne, par exemple, était bien cachée et presque étouffée entre une flemme chronique et un carcan d'habitudes). Si pour certains, quitter le confort douillet de leur maison pour la jungle du supermarché du coin est déjà une aventure en soi, la nôtre nous a conduits, dimanche 4 mars à 1h du matin, à monter dans le combi direction Cospan (c'était le paragraphe philosophie).
            Six bonnes heures de routes chaotiques à flanc de falaise dans un minibus bondé, dos à la route, avec le sommeil qui voudrait bien venir mais doit s'incliner tous les 10 mètres face à un nid de poule qui vous décolle de votre banquette, je vous assure que le trajet est pour le moins épique. Surtout quand le chauffeur demande à la petite vingtaine de passagers de bien vouloir descendre et continuer à pied un moment parce que le poids du véhicule chargé est trop important pour franchir le chemin accidenté... (c'était le paragraphe action et suspense)
            Mais les premières lueurs du soleil nous ont confirmé que le jeu en valait la chandelle : paysages grandioses, montagnes verdoyantes, petites habitations comme posées là, à même la pente vertigineuse (et même quelques maisons bleues adossées à la colline), nous voilà dans les Andes, les vraies, celles qu'on ne voit que dans les livres ou les reportages télé. La fin du périple s'avère ainsi bien plus agréable : rien de tel qu'un rêve éveillé pour vous tirer de votre état comateux et vous faire oublier vos courbatures !

 Vue des Andes depuis le combi

              Organisé autour d'une petite place lumineuse et proprette, tout ici respire la simplicité et la quiétude. Finis la pollution et le vacarme assourdissant des klaxons ! Notre petit-déjeuner à l'auberge du coin est à peine avalé qu'on peut tester l'hospitalité des habitants : on se retrouve obligés d'accepter, à 9h du matin, un apéro à base de chicha (boisson alcoolisée issue de pommes fermentées) et de bière gracieusement offert par quelques joyeux lurons du village, Milton, Fernando et Vilmer (l'orthographe des noms n'est pas garantie). Vous nous connaissez, on aurait volontiers refusé l'invitation, mais il paraît que ça ne se fait pas alors on a pris sur nous et on s'est forcés à ingurgiter un verre ou deux (ou trois...). Inutile de dire qu'avec la fatigue du trajet et la nuit blanche qu'on venait de passer, la conversation devint pour le moins guillerette, voire enjouée, mais c'est un excellent moyen de travailler son espagnol, on ne saurait trop vous le conseiller.

Le petit village de Cospán

            Le reste du temps se partage entre rencontres avec les habitants et découverte de nos appartements, mis gratuitement à notre disposition dans l'ancien poste de santé. Couvertures, matelas, électricité, toilettes et douche (froide tout de même), on est gâtés, c'est presque mieux qu'à l'hôtel ! Pour ma part, j'ai été assez déçu : dans ces conditions, aucune chance de croiser une tarentule grosse comme le poing ou autre joyeuseté typique.

Séance de travail dans notre coquette chambre

            La journée se termine (tôt) par une petite visite à l'une des figures locales, le curé Vidauro Perez (que les gens appellent « Hermano », soit frère, en espagnol), qui a fait le voyage avec nous depuis Cajamarca. Mais difficile à ce moment-là de deviner qu'il s'agissait d'un homme d'église, que ce soit à sa tenue vestimentaire pour le moins particulière (je pense notamment à son inoubliable bonnet Machu Picchu fort bien assorti à son jogging) ou à son attitude tout court, celui-ci ayant passé la majorité du trajet à plaisanter avec son voisin d'à côté. J'aurais volontiers retranscrit dans ces lignes quelques-uns des passages les plus croustillants, adepte que je suis des bons mots et des blagues d'un goût douteux, malheureusement mon niveau en espagnol ne me permet pas encore de saisir les échanges de gauloiseries. La seule chose dont je sois sûr, c'est que ça faisait bien rigoler son petit camarade. Quoi qu'il en soit, voilà un prêtre bien loin des clichés occidentaux ! On aura l'occasion de vous en reparler, voire même de lui consacrer un article tant le personnage vaut le détour !

            Le lendemain, après avoir profité d'une bonne nuit de sommeil et d'un copieux petit-déjeuner amplement mérités, on monte dans un pick-up qui nous emmène jusqu'au hameau voisin de Siracat, où se trouve le collège soutenu par APN. Là, nous avons assisté plutôt que participé à une grande réunion entre le maire de Cospan, Ronald Alcantara, des ingénieurs spécialisés dans l'irrigation et les habitants de Siracat, autour de la problématique de l'eau. Pour l'anecdote, il tombait à ce moment-là une pluie torrentielle, tant et si bien que le brouhaha de la pluie frappant inlassablement le préau qui nous abritait couvrait régulièrement la voix de la personne qui parlait !
            Cette discussion nous a laissé une impression mitigée : d'un côté, la municipalité semble réellement s'investir dans l'avenir du village et prendre des mesures concrètes pour améliorer les conditions de travail agricole. On a par exemple appris qu'un réservoir d'eau pour le collège devait être construit sous peu. D'un autre côté, moins reluisant,  le maire s'est fendu d'un discours très démagogue et, chose qui nous a déplu, il a visiblement profité de notre présence comme d'une vitrine pour appuyer ses propos, n'hésitant pas à nous qualifier « d'amis européens venant nous apporter leur technologie avancée »... Difficile donc de démêler les vraies volontés d'évolution des manoeuvres politiques.
            Mais force est de constater que les choses avancent : outre le réservoir, le maintien des cours d'agronomie au collège pour cette année est d'ores et déjà assuré, et la mairie a financé l'achat de petit matériel agricole, de type pelles et pioches, qui permettront aux professeurs de donner des punitions utiles aux élèves perturbateurs. Je plaisante bien entendu, le but est évidemment d'effectuer quelques travaux pratiques. Mais l'idée n'est pas si mauvaise, je m'en vais de ce pas la soumettre au directeur. Autre bon point, un ingénieur en hydraulique dépêché par la mairie doit effectuer le week-end prochain un état des lieux du système de canalisations actuel, véritable point noir du village, qui devrait déboucher (excellent jeu de mots) sur une amélioration à court terme, en partenariat avec les acteurs locaux, agriculteurs notamment.
            Après-midi détente pour nous remettre de nos émotions : Milton nous a proposé une petite visite guidée du village, et notamment de Shingo Wasi (le shingo est un rapace charognard local à l'allure singulière, assez proche du vautour, pas farouche pour un sou et visiblement friand de lacets de chaussures), mirador offrant un point de vue imprenable sur le village et les monts qui l'entourent. Magnifique ! Il nous a également fait goûter à un fruit inconnu en France, le poro-poro, particulièrement acidulé et à l'aspect inhabituel.

 Les aventuriers du mirador perdu

Les escaliers de la mort

            Le reste de la semaine, rythmé par la pluie qui vient systématiquement agrémenter les après-midi et rend les chemins difficilement praticables, a surtout été consacré à une grande mise au point sur le projet avec Martín Alcantara, professeur d'agronomie du collège de Siracat et relais d'APN sur place. Bonne nouvelle, il est extrêmement motivé et déterminé, et les choses ont bien avancé sous son impulsion. Il est très agréable de constater qu'APN n'est plus indispensable au bon déroulement du projet. Au final, notre rôle sera majoritairement d'apporter des idées neuves et d'effectuer des démarches administratives auprès de la mairie de Cajamarca ou du gouvernement régional. Le but, obtenir des subventions pour le financement du laboratoire de transformation, pour l'achat de matériel agricole, de semences d'arbres fruitiers améliorées, d'un vidéo-projecteur pour illustrer les cours et d'une vingtaine de lapins et cochons d'Inde (le cuy, retenez bien son nom, surtout que la prononciation locale de ce mot amène un certain nombre de situations cocasses, je vous laisse deviner), dans le but de démarrer un élevage. On vous en reparlera en détails dans un prochain article tout aussi passionnant.
            Martin nous a aussi informé de l'ouverture imminente à Cospan d'une annexe de l'IEST de Cajamarca, Institut d'Education Supérieure Technologique, qui proposera dès avril aux jeunes du village une filière Agriculture et élevage. C'est une formation sur 3 ans dispensée sous forme de cours du soir, et il y a un concours d'entrée. Pour l'instant le contenu reste un peu flou, on essaiera d'en savoir plus (oui, c'est un paragraphe sans blague de mauvais goût, un peu de sérieux je vous prie, on parle du projet là !).
            Tout au long de la semaine, la bonté des habitants du village s'est encore vérifiée. On a notamment été invités à manger chez Dora, mère de trois enfants, qui nous a offert un plat consistant, composé de pas moins de quatre féculents ! Riz + patates + yucca (variété de manioc, assez indigeste) + une sorte de pois chiche, voilà qui peut venir à bout des appétits les plus féroces ! Malheureusement, c'est aussi très représentatif des déséquilibres alimentaires dont souffrent les péruviens, criants dans ce petit village andin.

            Voilà, c'est tout pour aujourd'hui, mais d'ici peu un nouvel article vous relatera nos derniers exploits en date à Cajamarca. Peut-être même aurez-vous droit à quelques lignes sur les moeurs et coutumes péruviennes par notre envoyé spécial Julien Macrelle, qui s'investit à fond dans son sujet, mais actuellement les contraintes techniques viennent entraver nos belles idées d'articles, alors patience !

samedi 10 mars 2012

Cajamarca

Bonjour à tous !

 Je sais que vous êtes nombreux à attendre chaque jour avec impatience que soit publiée la suite de nos aventures péruviennes, et que vous vous endormez les yeux plein de larmes lorsque nous n'avons pas trouvé le temps de vous écrire. Mais rassurez-vous, même à l'autre bout du monde vos prières ont été entendues, et voici en exclusivité des nouvelles de nos tribulations andines.

            Mardi 28 février. Après un petit trajet en bus de 16h à peine durant lequel nous avons eu tout le temps de découvrir la culture locale à travers des films tels que « Les trois mousquetaires », nous voilà arrivés dans la ville qui sera notre point de chute régulier tout au long de notre séjour au Pérou : Cajamarca (notez que le « j » se prononce « re » en espagnol). Rien à voir avec le gigantisme de Lima, mais elle reste une ville importante, « capitale » du district du même nom, et assez étendue.
            Le centre-ville s'organise autour de la Plaza de armas, où se trouvent l'église, la cathédrale et la plupart des hôtels. Comme à Lima, les rues interminables, où se succèdent inlassablement petits commerces et restaurants, sont toutes agencées perpendiculairement les unes aux autres, dessinant ainsi  des « cuadras » parfaitement rectangulaires. En conséquence, les gens ne se repèrent pas par rapport aux noms de rues mais par rapport aux « esquinas », les coins de rues. C'est très différent de ce qu'on connaît en Europe. Depuis la Colina Santa Apolonia, que nous avons gravie progressivement pour habituer nos organismes aux 2 750 m d'altitude, on peut voir toute la ville avec en fond les Andes, les vraies, verdoyantes et majestueuses, et les nuages opaques qui masquent ses sommets.
            Pour nos quatre nuits sur place, nous nous sommes installés à l'hôtel Plaza, dans une sorte de dortoir assez simple et aux lits peu confortables. En théorie il est possible d'y prendre une douche chaude, mais en pratique nous n'avons jamais réussi, le ballon d'eau chaude ayant une fâcheuse tendance à être vide dès 8h du matin ! Nous avons donc pu goûter à la douche la plus courte et la plus  vivifiante de notre vie. Rendons également  hommage à la gérante de l'hôtel, personnage singulier qui n'hésite pas à se curer le nez et à cracher sur les tapis des couloirs lorsque vous discutez avec elle.

            Impossible d'évoquer Cajamarca sans parler d'un couple extraordinaire que l'on peut d'ores et déjà appeler amis. Nous avons en effet été accueillis par Paola et Ernesto, deux chaleureux jeunes gens de 27 et 26 ans qui habitent ici avec leur petite fille de 5 ans, Brissa, véritable tornade miniature curieuse de tout. Ce sont des grands amis de Bertrand, chef de l'équipe précédente et vice-président d'APN, et ils nous ont dès notre arrivée consacré beaucoup de leur temps, de leur aide et de leur bonne humeur. Ils n'hésitent jamais à nous inviter chez eux, à nous faire visiter la ville et à nous accompagner dans nos différentes démarches. On peut dès à présent leur dire merci.

vue sur Cajamarca depuis la collina Santa Apolina avec Paola

            Le mercredi, nous nous sommes laissés tenter par une des curiosités touristiques du coin : les Baños del Inca, bassins d'eaux thermales à 71°C qui dégagent leur fumée et leur odeur de soufre. L'endroit est sympathique et abrite encore des vestiges incas, mais il faut bien avouer qu'il a été aménagé de manière un peu trop quelconque et bétonnée. C'est dommage car il présente un indéniable potentiel. Pour notre part, nous avons profité de la piscine chaude, très chaude, et des douches qui vont avec, ça nous change de celles de l'hôtel ! Après la baignade, repas pour le moins singulier : on a mangé notre premier « cuy », le fameux cochon d'Inde. Une tête et des pattes griffues dans l'assiette, c'est assez peu ragoûtant ! Au final, la viande se révèle assez neutre et difficile à manger.

            Le lendemain, on décide de se lancer dans notre première randonnée, en théorie 8 km jusqu'aux Ventanillas de Otuzco, nécropole antique constituée de multiples petites cavités creusées dans la roche. Ce qui devait être une petite marche va se révéler un peu plus complexe : pour réussir à sortir de Cajamarca, on a beaucoup tourné en rond, les péruviens étant quelque peu avares en explications claires et précises sur la direction à suivre. Que des blancs veuillent faire le voyage à pied semble les surprendre ! Sur les routes, le soleil tape fort, et on s'en tire avec de légères insolations qui néanmoins ne suffisent pas à entamer notre moral et à nous empêcher de profiter du paysage.

 Otuzco

            On passe les soirées avec Ernesto et Paola, qui nous ont cuisiné un « Aji de pollo » (poulet au piment avec du riz et des patates) et nous ont emmenés dans un bar à concerts-discothèque très sympa (bien qu'on y retrouve les mêmes stéréotypes qu'en France, pour être poli), avant de nous conduire dimanche à 1h du matin au combi (sorte de mini-bus) qui doit nous mener jusqu'à Cospan, où le projet Agro Peru Niños et le dépaysement total prendront tout leur sens. Mais ceci est une autre histoire...

NG