Chacun d'entre nous
possède, quelque part au fond de soi, un besoin d'évasion et de découverte, une
envie d'ailleurs, une soif de sensations nouvelles, bref une âme d'aventurier
quoi. Selon les cas, elle peut être plus ou moins enfouie et plus ou moins exacerbée
(la mienne, par exemple, était bien cachée et presque étouffée entre une flemme
chronique et un carcan d'habitudes). Si pour certains, quitter le confort
douillet de leur maison pour la jungle du supermarché du coin est déjà une
aventure en soi, la nôtre nous a conduits, dimanche 4 mars à 1h du matin, à
monter dans le combi direction Cospan (c'était le paragraphe philosophie).
Six bonnes heures de routes
chaotiques à flanc de falaise dans un minibus bondé, dos à la route, avec le
sommeil qui voudrait bien venir mais doit s'incliner tous les 10 mètres face à
un nid de poule qui vous décolle de votre banquette, je vous assure que le
trajet est pour le moins épique. Surtout quand le chauffeur demande à la petite
vingtaine de passagers de bien vouloir descendre et continuer à pied un moment
parce que le poids du véhicule chargé est trop important pour franchir le
chemin accidenté... (c'était le paragraphe action et suspense)
Mais les premières lueurs du soleil
nous ont confirmé que le jeu en valait la chandelle : paysages grandioses,
montagnes verdoyantes, petites habitations comme posées là, à même la pente
vertigineuse (et même quelques maisons bleues adossées à la colline), nous
voilà dans les Andes, les vraies, celles qu'on ne voit que dans les livres ou
les reportages télé. La fin du périple s'avère ainsi bien plus agréable : rien
de tel qu'un rêve éveillé pour vous tirer de votre état comateux et vous faire
oublier vos courbatures !
Vue des Andes depuis le combi
Le petit village de Cospán
Le reste du temps se partage entre rencontres avec les habitants et
découverte de nos appartements, mis gratuitement à notre disposition dans
l'ancien poste de santé. Couvertures, matelas, électricité, toilettes et douche
(froide tout de même), on est gâtés, c'est presque mieux qu'à l'hôtel ! Pour ma
part, j'ai été assez déçu : dans ces conditions, aucune chance de croiser une
tarentule grosse comme le poing ou autre joyeuseté typique.
Séance de travail dans notre coquette chambre
La journée se termine (tôt) par une
petite visite à l'une des figures locales, le curé Vidauro Perez (que les gens
appellent « Hermano », soit frère, en espagnol), qui a fait le voyage
avec nous depuis Cajamarca. Mais difficile à ce moment-là de deviner qu'il
s'agissait d'un homme d'église, que ce soit à sa tenue vestimentaire pour le
moins particulière (je pense notamment à son inoubliable bonnet Machu Picchu
fort bien assorti à son jogging) ou à son attitude tout court, celui-ci ayant
passé la majorité du trajet à plaisanter avec son voisin d'à côté. J'aurais
volontiers retranscrit dans ces lignes quelques-uns des passages les plus
croustillants, adepte que je suis des bons mots et des blagues d'un goût
douteux, malheureusement mon niveau en espagnol ne me permet pas encore de
saisir les échanges de gauloiseries. La seule chose dont je sois sûr, c'est que
ça faisait bien rigoler son petit camarade. Quoi qu'il en soit, voilà un prêtre
bien loin des clichés occidentaux ! On aura l'occasion de vous en reparler,
voire même de lui consacrer un article tant le personnage vaut le détour !
Le lendemain, après avoir profité
d'une bonne nuit de sommeil et d'un copieux petit-déjeuner amplement mérités,
on monte dans un pick-up qui nous emmène jusqu'au hameau voisin de Siracat, où
se trouve le collège soutenu par APN. Là, nous avons assisté plutôt que
participé à une grande réunion entre le maire de Cospan, Ronald Alcantara, des
ingénieurs spécialisés dans l'irrigation et les habitants de Siracat, autour de
la problématique de l'eau. Pour l'anecdote, il tombait à ce moment-là une pluie
torrentielle, tant et si bien que le brouhaha de la pluie frappant inlassablement
le préau qui nous abritait couvrait régulièrement la voix de la personne qui
parlait !
Cette discussion nous a laissé une
impression mitigée : d'un côté, la municipalité semble réellement s'investir
dans l'avenir du village et prendre des mesures concrètes pour améliorer les
conditions de travail agricole. On a par exemple appris qu'un réservoir d'eau
pour le collège devait être construit sous peu. D'un autre côté, moins
reluisant, le maire s'est fendu d'un discours
très démagogue et, chose qui nous a déplu, il a visiblement profité de notre
présence comme d'une vitrine pour appuyer ses propos, n'hésitant pas à nous
qualifier « d'amis européens venant nous apporter leur technologie
avancée »... Difficile donc de démêler les vraies volontés d'évolution des
manoeuvres politiques.
Mais force est de constater que les
choses avancent : outre le réservoir, le maintien des cours d'agronomie au
collège pour cette année est d'ores et déjà assuré, et la mairie a financé
l'achat de petit matériel agricole, de type pelles et pioches, qui permettront
aux professeurs de donner des punitions utiles aux élèves perturbateurs. Je
plaisante bien entendu, le but est évidemment d'effectuer quelques travaux
pratiques. Mais l'idée n'est pas si mauvaise, je m'en vais de ce pas la
soumettre au directeur. Autre bon point, un ingénieur en hydraulique dépêché
par la mairie doit effectuer le week-end prochain un état des lieux du système
de canalisations actuel, véritable point noir du village, qui devrait déboucher
(excellent jeu de mots) sur une amélioration à court terme, en partenariat avec
les acteurs locaux, agriculteurs notamment.
Après-midi détente pour nous
remettre de nos émotions : Milton nous a proposé une petite visite guidée du
village, et notamment de Shingo Wasi (le shingo est un rapace charognard local
à l'allure singulière, assez proche du vautour, pas farouche pour un sou et
visiblement friand de lacets de chaussures), mirador offrant un point de vue
imprenable sur le village et les monts qui l'entourent. Magnifique ! Il nous a
également fait goûter à un fruit inconnu en France, le poro-poro,
particulièrement acidulé et à l'aspect inhabituel.
Les aventuriers du mirador perdu
Les escaliers de la mort
Le reste de la semaine, rythmé par
la pluie qui vient systématiquement agrémenter les après-midi et rend les
chemins difficilement praticables, a surtout été consacré à une grande mise au
point sur le projet avec Martín Alcantara, professeur d'agronomie du collège de
Siracat et relais d'APN sur place. Bonne nouvelle, il est extrêmement motivé et
déterminé, et les choses ont bien avancé sous son impulsion. Il est très
agréable de constater qu'APN n'est plus indispensable au bon déroulement du
projet. Au final, notre rôle sera majoritairement d'apporter des idées neuves
et d'effectuer des démarches administratives auprès de la mairie de Cajamarca
ou du gouvernement régional. Le but, obtenir des subventions pour le
financement du laboratoire de transformation, pour l'achat de matériel
agricole, de semences d'arbres fruitiers améliorées, d'un vidéo-projecteur pour
illustrer les cours et d'une vingtaine de lapins et cochons d'Inde (le cuy,
retenez bien son nom, surtout que la prononciation locale de ce mot amène un
certain nombre de situations cocasses, je vous laisse deviner), dans le but de
démarrer un élevage. On vous en reparlera en détails dans un prochain article
tout aussi passionnant.
Martin nous a aussi informé de
l'ouverture imminente à Cospan d'une annexe de l'IEST de Cajamarca, Institut
d'Education Supérieure Technologique, qui proposera dès avril aux jeunes du
village une filière Agriculture et élevage. C'est une formation sur 3 ans
dispensée sous forme de cours du soir, et il y a un concours d'entrée. Pour
l'instant le contenu reste un peu flou, on essaiera d'en savoir plus (oui, c'est
un paragraphe sans blague de mauvais goût, un peu de sérieux je vous prie, on
parle du projet là !).
Tout au long de la semaine, la bonté
des habitants du village s'est encore vérifiée. On a notamment été invités à
manger chez Dora, mère de trois enfants, qui nous a offert un plat consistant,
composé de pas moins de quatre féculents ! Riz + patates + yucca (variété de
manioc, assez indigeste) + une sorte de pois chiche, voilà qui peut venir à
bout des appétits les plus féroces ! Malheureusement, c'est aussi très
représentatif des déséquilibres alimentaires dont souffrent les péruviens,
criants dans ce petit village andin.
Voilà, c'est tout pour aujourd'hui,
mais d'ici peu un nouvel article vous relatera nos derniers exploits en date à
Cajamarca. Peut-être même aurez-vous droit à quelques lignes sur les moeurs et
coutumes péruviennes par notre envoyé spécial Julien Macrelle, qui s'investit à
fond dans son sujet, mais actuellement les contraintes techniques viennent
entraver nos belles idées d'articles, alors patience !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire