dimanche 27 mai 2012

La mine, or de question?


Il est des jours, que dis-je, des heures, où le sérieux est de mise parmi notre fine équipe. Certes, le dernier article touristique publié par mon noble compagnon NG pourrait laisser penser que cela n’arrive que rarement. Aussi m’en vais-je vous ôter cette idée erronée en vous parlant d’un sujet on ne peut plus grave qui hante l’esprit et la conscience de nombreux péruviens, pour ne pas dire la totalité : l’exploitation minière, ou au sens plus large, des ressources du sol. Je vous le promets, j’éviterai les jeux de mots du type « ça leur mine le moral », j’en ai déjà abusé dans le titre.
On entend rarement parler du Pérou aux informations télévisées en France, vous en conviendrez. Je ne sais si cela a changé récemment, et vous pourrez me le dire si c’est le cas, mais en tout cas la tension monte progressivement à l’intérieur du pays et nous en avons été les témoins directs à plusieurs reprises, j’y reviendrai. Je vous resitue d’abord le problème et le contexte qui y est associé.
Le Pérou possède d’importantes ressources qui se traduisent dans les deux principales activités économiques du pays : la pêche et l’exploitation minière. Il faut avoir en tête que le Pérou est le 1er producteur au monde d’argent, le 2ème pour le cuivre, le 3ème pour le zinc et l’étain, et le 5ème pour l’or (Le Guide du Routard 2011/2012 Pérou-Bolivie). On pourrait donc se dire légitimement que le pays est prospère, car tirant de larges bénéfices de la richesse de ses sols. Et bien il n’en est rien. Le retour de la paix dans les années 90 a favorisé l’arrivée d’importants investissements étrangers, en majorité américains. Et depuis le début des années 2000, ces investissements ne cessent de croître. Ce qui veut dire en résumé que ce sont les pays étrangers comme les Etats-Unis qui tirent les plus gros bénéfices de ressources qui ne sont pas les leurs.
Certes, le Pérou dans cette histoire n’est pas dépouillé gratuitement de ses ressources puisque le gouvernement perçoit une partie des bénéfices, mais cette part est bien trop faible: on pourrait s’attendre à du 75-25 en faveur du Pérou, ce qui n’est absolument pas le cas ; le taux effectif d’imposition des mines d’or et de cuivre était, en 2000, respectivement de 45,5% et de 42,8% (La fiscalité minière dans les pays en développement, James M. Otto, 2000). Il faut quand même garder à l’esprit que si l’imposition est trop grande, cela peut faire fuir les investisseurs étrangers. Cependant, on peut légitimement penser que les puissances intéressées par ces ressources n’y renonceraient pas même si le taux était plus élevé. C’est donc une des deux activités économiques majeures du pays qui est en partie accaparée par l'étranger.
Ça, c’est la première mauvaise nouvelle. La deuxième c’est que cette exploitation se fait aux dépens du milieu naturel. L’extraction du minerai nécessite l’emploi de mercure et/ou de cyanure qui s’infiltrent dans les sols et les cours d’eau, perturbant ainsi tout un écosystème et limitant l’alimentation en eau des villages et villes proches. Le mercure et le cyanure peuvent être récupérés une fois l’opération terminée par un procédé réputé très simple (je n’en connais pas la nature exacte), mais cette ultime précaution n’est pratiquement jamais prise car coûteuse en temps et en argent. Il faut parfois ajouter à cela la nécessité de pomper des quantités d’eau empêchant l’extraction. La mine d’or de Yanacocha, située au-dessus de Cajamarca (nord du Pérou), est extrêmement décriée à l’heure actuelle car ses exploitants s’apprêteraient à pomper un ou plusieurs lacs naturels pour en recréer des artificiels à côté, ceci dans le but d’accéder à l’or. C’est tout un environnement qui serait ravagé, et l’alimentation en eau des villages alentours et de la ville de Cajamarca qui serait sérieusement menacée.
 Il est donc un slogan, qui se peint en lettres rouges sur les murs et qui se clame à chaque manifestation, dont Ollanta Humala, Président de la République, se passerait bien : ¡Conga no va! Ce qui équivaut à un « Non » magistral au projet minier de Yanacocha. Il faut dire qu’Humala, élu le 28 juillet dernier, avait inscrit la ligne suivante dans son programme : « la réappropriation des ressources naturelles : eau, terres, forêts, biodiversité, gaz et minéraux », promesse qu’il s’est empressé de … ne pas tenir ! Les péruviens se sentent donc trahis et réclament l’arrêt total du projet Conga de Yanacocha.


 Le fameux slogan qui fleurit sur les murs de Cajamarca


Une expertise internationale commandée par le gouvernement péruvien a récemment livré ses résultats : elle donne les recommandations environnementales que doit suivre Newmont, la compagnie américaine à l’origine du projet, pour que celui-ci puisse se poursuive. Humala s’appuie sur cette expertise pour confirmer que, selon lui, le projet est viable.  Il souhaite établir sur cette base un pacte social avec l’opposition où Newmont s’engagerait à respecter les recommandations de l’expertise. Mais l’opposition refuse tout pacte et exige la fin du projet. Apparemment, Newmont aurait déjà fait parler d’elle par le passé par son non-respect total de toute règle nécessaire à la protection de l’environnement (The Conga impasse – high stakes, high risks ; President Humala announced that Conga project is viable, but with regulations). Notons ici que le Gouvernement Régional de Cajamarca est opposé au projet, ce qui marque une vraie rupture avec la politique du Gouvernement Central.
Le pays est donc actuellement dans une impasse. Et, même si c’est de Yanacocha qu’on entend le plus parler,  il existe bien d’autres exemples d’exploitation abusive. A Iquitos, village situé dans l’Amazonie péruvienne, une déclaration pour l’eau a récemment été émise par un Comité de Défense de l’eau. Elle réclame le respect des déclarations successives caractérisant les vallées des trois fleuves Nanay, Pintuyacu et Chambira comme à protéger à tout prix et y interdisant toute exploitation minière ou pétrolifère. Elle réclame le respect des déclarations successives visant à protéger à tout prix et interdire toute exploitation minière ou pétrolifère des vallées des trois fleuves Nanay, Pintuyacu et Chambira. Actuellement, Pluspetrol Norte y pratique une activité pétrolifère qui menace l’alimentation en eau d’Iquitos. Le Gouvernement Régional est ici en cause car il ne fait pas respecter la loi.
Nous avons, personnellement, été les témoins du mécontentement des péruviens. Ayant passé beaucoup de temps à Cajamarca, nous avons assisté à plusieurs mobilisations. Et la plus forte restera celle qui aura fait intervenir l’armée en avril dernier pour anticiper un éventuel débordement. Au passage, nous avons bien cru ce jour-là ne jamais pouvoir partir de Cajamarca pour commencer notre tourisme, les rues étant étrangement vides et les rumeurs de fermeture des portes de la ville allant bon train. Et le jour même, faisant étape à Trujillo, nous avons vu un petit rassemblement sur la Place des Armes manifestant son opposition à la Conga. Mais le plus marquant restera le passage de la frontière entre le Pérou et la Bolivie qu’il aura fallu faire à pied pour cause de blocage de la route. 







 Mobilisation nocturne à Trujillo


En résumé, l’exploitation des ressources péruviennes est aujourd’hui au centre des débats. Les entreprises américaines d’exploitation sont montrées du doigt mais, avant elles, les entreprises françaises avaient aussi leurs entrées dans le pays. Ces activités sont génératrices d’emplois dans un pays en développement, mais elles coûtent par ailleurs bien cher sur le plan environnemental. L’évolution de la situation sera à suivre avec attention. Autant en Europe il est bien difficile d’imaginer un quelconque soulèvement violent, autant ici il ne faut rien exclure, même si l’opposition ne cesse de prôner des manifestations pacifiques. Quand la coupe est pleine, on ne sait jamais de quel côté elle va déborder…
Je précise, en guise de conclusion, que j’ai essayé de vous présenter les choses le plus objectivement possible. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à poser vos questions ou à lancer carrément le débat dans quelques commentaires dont vous avez le secret.

CV


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